Nos animaux de compagnie, ceux de la ferme, les grands mammifères, les serpents, les batraciens, les insectes, les oiseaux, les poissons… tout le monde y passe ! Bien sûr, les chats et les chiens sont champions toutes catégories des expressions les plus courantes dont certaines datent de plusieurs siècles : on donne sa langue au chat (alors qu’autrefois on la donnait au chien), on l’a dans la gorge, on le fouette (ou non), il est gris la nuit, il ne faut pas le réveiller quand il dort... Le chien, quant à lui, n’est pas en reste : on est malade comme lui, beaucoup de choses ne sont pas faites pour lui, on en a parfois le caractère ou l’humeur, il aboie et la caravane passe, on en garde un de sa chienne quand on en veut à quelqu’un, on dit même d’une belle femme qu’elle en a (du chien !) ! Impossible de toutes les voir en détail.
Voici, pour le plaisir, quelques expressions animalières dont les origines ne tombent pas forcément sous le sens !
Non, les enfants du Bon Dieu ne sont pas des anges ! Nous ne sommes pas des anges (puisque c’est bien de nous qu’il s’agit), mais nous sommes censés être (je dis bien censés…) intelligents, honnêtes, respectueux, bref des êtres humains dignes de confiance, auxquels on oppose la versatilité et la stupidité des volatiles. Alors pourquoi pas des oies ou des étourneaux ? L’Histoire ne le dit pas. Ce qui est sûr, c’est que nos industriels, publicistes et politiques en tête, n’hésitent pas à nous prendre un peu trop souvent pour des canards sauvages !
Encore une fois, le pauvre palmipède est pris à partie dans l’expression « un canard » qui désigne un journal. Son origine remonte au XIIIe siècle, où l’on traitait de « canard » une personne trop bavarde, vous savez une de celles qui cancane bruyamment à tort et à travers ! Plus tard, l’expression « répandre un canard » a signifié raconter un mensonge ou rapporter un potin. C’est dans cette logique qu’au XVIIIe et XIXe siècle, les bulletins d’informations (très populaires à l’époque) distribués dans les rues, traitant de faits divers et réputés colporter de fausses informations, furent traités de canards. Par extension, le terme de canard a fini par faire référence aux journaux peu crédibles, puis à la presse en général.
Petit aparté sur « le canard enchaîné » dont le premier numéro parut le 10 septembre 1915 : le quotidien « l’Homme libre », édité par Georges Clémenceau (et qui ne se privait pas de critiquer ouvertement le gouvernement en place pendant la première Guerre mondiale), changea de nom et devint « L’Homme enchaîné » après s’être fait harponner par la censure. C’est ainsi que les co-fondateurs, Maurice et Jeanne Maréchal auraient eu l’idée d’appeler leur propre journal Le canard enchaîné
Que l’on crie au loup, qu’on se jette dans sa gueule, qu’il fasse un froid de loup ou que le vieux loup de mer ait une faim de loup, le canidé aussi peut se prévaloir d’une vaste galerie d’expressions. Mais qu’en est-il de :
Les latins utilisaient une expression « lupus est fabula », qui signifie « le loup est dans la conversation ». En effet, quand celui dont on parle arrive brusquement alors qu’il n’est pas attendu, la conversation s’arrête instantanément, comme la peur peut ôter la parole à quiconque voit un loup. C’est donc la peur que celui qui arrive entende ce qu’on était en train de dire à son sujet qui nous rend muet ! Mais à ce moment-là, pourquoi la queue plutôt que les crocs ? Arrive-t-il à reculons ? D’après certains, vu l’ancienneté de l’expression, c’était pour rimer avec leu, puisque tout le monde le sait, loup se disait leu en ancien français. D’ailleurs, à la queue leu leu vient bien de là, et nous renvoie aux loups qui, se déplaçant en meute, marchent les uns derrière les autres.
Juste une petite phrase de François Cavanna qui soulignait très justement que « Quand on parle du loup entre bègues, on en voit rarement la queue. » !
Ne vous y méprenez pas, il ne s’agit pas du même animal ! Autrefois pouil était un homonyme : il s’agissait tout autant du parasite qui envahit la tête de nos enfants à la rentrée des classes que du mâle de la poule : le coq. La confusion est donc pardonnable, et l’expression laid ou moche comme un pou s’est très vite enrichie de jaloux ou vexé comme un pou. Pour ma part, je pense qu’un coq peut tout autant être jaloux ou vexé… En revanche, lorsqu’on dit fier comme un pou, c’est bien au gallinacé qui parade jabot en avant qu’on fait allusion !
Alors là, c’est bien malgré lui que ce grand félin européen est célèbre ! Non pas qu’il ait besoin de lunettes (pas plus que la taupe d’ailleurs), mais tout simplement parce que l’expression moyenâgeuse est née d’une paronymie (sonorité et/ou graphie similaires) entre lynx et Lyncée. Mais qui était Lyncée ?
Un peu de mythologie : Jason à la conquête de la toison d’or, ça vous dit quelque chose ? … Il mena cinquante héros, autour de 1300 av J.C., sur le navire Argo, afin de s’emparer de la toison d’or en Colchide (l’actuelle Géorgie), le pays des Amazones. Les argonautes avaient été sélectionnés pour leurs dons respectifs : Héraclès, Hylas, Castor et Polux, Orphée étaient du voyage, ainsi que Lyncée en raison de sa vue hors du commun qui lui permettait de voir à travers les rochers, les murailles, les nuages et jusqu’au fond de la mer. Et voilà comment Lyncée fut confondu avec le lynx au Moyen Âge, ce qui donna l’expression « avoir un œil de lynx ».
Au XIIIe siècle, cela voulait dire… ne pas payer du tout, ou du moins en grimaces et facéties pour les montreurs de singes, afin de s’affranchir du péage du Petit-Pont qui reliait l’île Notre-Dame au quartier Saint-Jacques. Aujourd’hui, cela signifie utiliser une monnaie d’échange non convertible en argent, voire escroquer un créancier.
À défaut de faire le singe pour faire rire la galerie, on peut aussi en manger comme les poilus au fond de leurs tranchées. Une espèce de corned-beef nommé « singe » dans les pays francophones, dont l’appellation serait née au XIXe siècle en Côte d’Ivoire, lorsque les français en poste dans ce pays auraient été réduits à manger de la viande de singe en boîte. Mais peut-être que l’étiquette qui y figurait représentait tout simplement un singe… Toujours est-il que l’ouvre-boîte du paquetage des poilus portait la marque « Le singe ».
Quant à être malin comme un singe, plus rien à voir avec le côté joueur et farceur du singe ! À l’origine, cette expression est péjorative car, au Moyen Âge, on croyait que les singes étaient des créatures du diable, enfin du malin !
Juste pour finir, même si l’on a une peur bleue, que l’on est vert de rage, rouge comme une tomate ou que l’on rie jaune, rien ne peut jamais être noir comme un geai ! Ce petit passereau de 30 à 35 centimètres est chamarré de beige, de bleu et, il est vrai, d’un peu de noir… mais si peu ! Le noir se rapporte au jais, fossile d’aspect compact, vitreux, d’un noir brillant, susceptible d’être traité comme une pierre fine. On peut donc avoir une chevelure d’un noir de jais, ou même noire corbeau, mais jamais « noire de geai » !
Je vous laisse en compagnie de Jean d’Ormesson et de son le "billet d’humour et d’hommage à la langue française" !