Qu’on l’appelle pognon, pépètes, flouze, oseille, fric, blé, pèze, grisbi, qu’il ait une odeur ou non, qu’il se transforme en beurre, qu’il soit mauvais conseiller ou vénéré comme un dieu, qu’il soit synonyme de liberté ou geôlier, qu’on passe sa vie à le convoiter ou qu’on la perde à en gagner, il est là et bien là (ou pas du tout, ou pas assez…) tout au long de notre vie, et une chose est sûre, c’est qu’il fait parler de lui ! Alors puisque « La parole est d’argent », prenons-la et laissons le silence se dorer la pilule !
L’argent est un métal précieux, blanc, brillant et inoxydable. Ce mot vient du latin argentum, mais son origine beaucoup plus lointaine vient du grec argyros qui lui-même serait l’équivalent de ar-jun en sanskrit qui signifie brillant. Mais c’est aussi, depuis l’apparition des premières pièces de monnaie, toute sorte de monnaie métallique ou de papier-monnaie et, par extension, la valeur que représente cette monnaie.
Quelle que soit sa forme, la monnaie est un système universel sans lequel aucune économie ne peut exister. C’est au VIe siècle av. J-.C. en Anatolie, d’après les érudits, et plus précisément en Lydie, que Crésus fait fabriquer les premières pièces de monnaie, les créséides, qui sont réalisées à partir des paillettes d’électrum (alliage naturel d’or et d’argent) trouvées dans la rivière Pactole. (Si vous voulez en savoir un peu plus sur la légende qui est à l’origine de l’expression « Toucher le Pactole », c’est ici).
Le principe de la monnaie se développera dans un premier temps chez les Grecs d’Asie Mineur et un siècle plus tard en France, au Ve siècle av. J.-C. Jusque-là, les premières formes de monnaie varient d’un groupe humain à un autre, chacun essayant d’établir un « étalon » susceptible d’être accepté par tous. C’est ainsi, pour n’en nommer que quelques-uns, qu’il y eut le sel (qui servait, entre autres, à payer les légionnaires romains, d’où l’origine du mot salaire), la pierre, l’ambre, les pierres précieuses, le bétail (d’où découle le mot latin pecus, à l’origine de pécuniaire et en sanskrit rupa à l’origine de roupie), les coquillages, sans oublier le blé, le bétail, etc.
Au VIIIe siècle, Charlemagne instaure le denier d’argent qui sera remplacé par l’écu d’or du roi Saint Louis au XIIIe siècle. Jean Le Bon (qui d’après l’Histoire, hormis sa bravoure, n’était pas si bon que cela) créa un modèle de pièce d’or, le « franc à cheval », considéré comme l’ancêtre du franc, mais qui sera remplacé par le louis d’or imposé par Louis XIV.
Napoléon marque le début de la monnaie unique, marquée par le franc germinal, en réformant au milieu du XVIIIe siècle le système monétaire, et crée la Banque de France en 1800, dans laquelle chaque billet correspond à un certain poids d’or qui est gardé et stocké dans la banque. C’est le début de la monnaie fiduciaire durable dans notre pays. (Euh, fidu…quoi ? Fiduciaire vient de fiducia en latin qui signifie confiance. Autrement dit, la valeur d’une monnaie fiduciaire est égale à celle qui est mentionnée sur le billet ou la pièce.) Le franc germinal connaitra plusieurs évolutions jusqu’au nouveau franc crée par Charles de Gaulle en 1963 et sera officiellement remplacé le 17 février 2002 par l’euro.
Voici pour un résumé très court de l’histoire ! Pour ce qui est des réflexions qu’il a suscitées et qu’il suscite, les proverbes et dictons sont légion, allant des plus compassés aux plus humoristiques, voire cyniques.
Cette expression viendrait de Vespasien, successeur de Néron environ 70 ans après le début de notre ère qui, pour renflouer les caisses de l’empire vidées par ce dernier, aurait mis en place différentes sortes de taxes dont une appliquée à la collecte d’urine qui était utilisée pour dégraisser les laines et préparer les tissus avant leur coloration. Une autre hypothèse liée à ce même empereur fait référence aux vespasiennes payantes qu’il aurait faites installer afin de récupérer de l’argent. Critiqué par son fils, Vespasien lui aurait rétorqué : « pecunia non olet », « l’argent n’a pas d’odeur ». Autrement dit, peu importe d’où vient l’argent, le principal est d’en avoir, quitte à « laver l’argent sale » … en le blanchissant !
Voici quelques citations inspirées par cette expression :
« L’argent n’a pas d’odeur, mais la pauvreté en a une » Paul Léautaud
« L’argent n’a pas d’odeur, mais il est volatil » Stanislaw Jerzy Lec
« L’argent n’a pas d’odeur, mais à partir d’un million il commence à se faire sentir » Tristan bernard
Inutile de décortiquer ce proverbe, du moins dans son étymologie. Bien qu’il soit intéressant de faire un arrêt sur le mot bonheur qui provient des deux mots latins : bonum et augurium qui signifient rétrospectivement bon et augure. Ces deux mots associés désignaient donc un « présage favorable ». Son sens a évolué au cours des siècles, intégrant petit à petit la notion de plaisir.
Comme le disait Coluche, reprenant ce qu’avait dit Boris Vian avant lui : « L’argent ne fait pas le bonheur de ceux qui n’en ont pas » (B. Vian), « Le bonheur ne fait pas le bonheur des pauvres » (Coluche) !
D’ailleurs Tristan Bernard écrivait : « Ah ! Que ne suis-je riche pour venir en aide au pauvre que je suis ! »
Quant à Jules Renard, après nous dire que « L’argent est un très mauvais conseiller », il n’hésite pas à lancer le plus ironiquement du monde : « Si l’argent ne fait pas le bonheur, rendez-le ! », rejoint plus tard par Jean-François Kahn : « Si l’argent ne faisait pas le bonheur, il y a longtemps que des riches malheureux auraient rendu l’argent ! ». Parce qu’après tout, comme le faisait très justement remarquer Georges Feydeau : « L’argent ne fait pas le bonheur. C’est même à se demander pourquoi les riches y tiennent tant ! ».
Et comme le dit si bien Charles Sannat : « Tout le monde déteste les riches, mais tout le monde veut le devenir. Tout le monde aime les pauvres, mais personne ne veut l’être. »
Ne s’occupant que de ceux qui en ont, Pierre Lance argue que « L’argent fait le bonheur des intelligents et le malheur des imbéciles » pendant que Pierre-Jean Vaillard remarque plus cyniquement que « L’argent ne fait pas le bonheur. Peut-être, mais il vous permet en tout cas de choisir le genre de misère que vous préférez ».
Viennent enfin des pensées telles que celle de Jean d’Ormesson : « Malgré ce que soutiennent les riches, l’argent suffit à faire le bonheur des pauvres ; malgré ce que s’imaginent les pauvres, l’argent ne suffit pas à faire le bonheur des riches. », ou de Jacinto Benavente : « L’argent ne peut faire que nous soyons heureux, mais c’est la seule chose qui compense de ne pas l’être. ».
Et Albert Camus de résumer : « On veut gagner de l’argent pour vivre heureux et tout l’effort et le meilleur d’une vie se concentrent pour le gain de cet argent. Le bonheur est oublié, le moyen pris pour la fin. »
Quant à Tristan Bernard, il nous dit avec son humour décalé que « C’est aussi bête de mépriser l’argent que de l’adorer » car « tant qu’on n’est pas propriétaire, on ne peut s’imaginer combien il est ignoble de porter atteinte à la propriété. » et que donc « Il faut mettre de l’argent de côté pour en avoir devant soi ».
Christophe André règle le problème plus simplement : « Il existe deux façons d’être riche : avoir beaucoup d’argent ou avoir peu de besoins. »
Prenons donc garde à ce que l’argent reste à notre service et non l’inverse car ainsi que le disait Alexandre Dumas fils : « L’argent est un bon serviteur et un mauvais maître. »
Comme le soulignent les linguistes, la racine de pognon se retrouve dans pogner qui a comme sens original « prendre dans la pogne », autrement dit « prendre en main ». Mais il a aussi une étymologie populaire, non attestée, selon laquelle son origine serait liée à Jules Pognon qui était le chef comptable des usines du groupe Schneider et Cie dans le Creusot.
Pas sûr qu’il y ait un film d’Audiard où ne figure ce mot !
« Quand on parle pognon à partir d’un certain chiffre, tout le monde écoute. » Jean Gabin dans « Le pacha ».
« Plus t’as de pognon, moins t’as de principes : l’oseille, c’est la gangrène de l’âme. C’est la prison qui m’a sauvé. Faut dire que j’avais débuté fort… un caissier à la Garenne-Colombes… un rentier à Bezons, un poker à Malakoff… un hold-up à Saint-Ouen… Je disais plus bonjour aux potes, j’avais commandé une charrette américaine, j’intriguais pour entrer au Diner’s Club et pis… crac ! Le ballon, la cellule, le parloir, le retour à la nature quoi. La vraie vie ! Et ben tu sais… j’lai échappé belle… » Maurice Biraud dans « Des pissenlits par la racine ».
« Dans la vie on partage toujours les emmerdes, jamais le pognon. » dans « 100.000 dollars au soleil »
Mais Audiard n’est pas le seul ; voici ce qu’écrit Frédéric Dard dans « Réflexions jubilatoires sur l’existence » :
« Un prince sans pognon, c’est un taxi londonien sans essuie-glaces »,
ou encore Philippe Geluck dans « Le succulent du chat » : « La différence entre l’amour et l’argent, c’est que si on partage son argent, il diminue, tandis que si on partage son amour, il augmente. L’idéal étant d’arriver à partager son amour avec quelqu’un qui a du pognon. »
Et puis, « On pourrait faire une journée sans pognon. Ça serait bien : y aurait des mecs qui seraient à l’aise ! » nous disait Jean Yanne…
Dans de nombreuses civilisations, le blé a été utilisé comme moyen de paiement et ce vocable est devenu une expression pour parler d’argent au XVIe siècle. Mais la métaphore, qui elle date de 1899, fait le parallèle entre une personne ruinée et un champ moissonné (c’est-à-dire fauché) où il ne reste donc plus rien.
« Fauché comme les blés » revient à « Ne plus avoir un radis », le radis étant considéré comme le légume du pauvre car il se vendait très peu cher ou se donnait. Quant à « Manger son blé en herbe », cela signifie dépenser son revenu en avance et figure dans le Tiers-Livre de Rabelais : « manger son bled en herbe ».
Les patates, comme le blé ont elles aussi servi de monnaie d’échange dans les campagnes, et impossible de ne pas penser à la tête des « Trois frères » qui héritent chacun de 100 patates, soit 1 million de francs !
L’oseille est quant à elle une plante au goût acide, reconnue pour ses vertus culinaires et médicinales, qui était associée à la prospérité. Il se peut donc que l’expression trouve là son origine, mais ce n’est qu’au XIXe siècle qu’« avoir de l’oseille » pour parler d’argent fait son apparition.
C’est bien tout cela, mais pour échanger toutes ces denrées, il fallait bien les peser ! C’est du moins une des hypothèses concernant l’origine du mot pèze, mais ce n’est pas la seule : en occitan, pese signifie petit pois et renverrait à la petite monnaie en argot. Dans les années 1830, on parlait donc de pèse en référence à l’argent, et au fil du temps, un « z » est venu remplacer le « s ».
Un petit clin d’œil de Jacques Martin à notre voisin helvétique : « La Suisse est avant tout, ne l’oublions pas, un pays d’agriculture : ils font du blé, du jonc, de l’oseille ».
Encore une fois, remonter à l’origine de ces mots d’argot n’est que supputation…
Le fric viendrait de « fricot », du verbe fricoter qui signifiait « être mêlé à des affaires louches ». D’ailleurs, le terme de fric-frac désignait un cambriolage avec effraction. Mais il existe une autre hypothèse selon laquelle fric serait un nom d’emprunt à l’arabe frick qui signifie blé concassé.
Le flouze serait lui aussi issu de l’arabe, flws étant le pluriel de falas : coquillage, obole, sou. Le flus devient peu à peu le felous au début du XIXe siècle à Marseille… pour finir en flouze au fil du temps.
La thune. A l’époque gallo-romaine, la tutina se rapportait au fait de se protéger et renvoyait ainsi à la notion d’aumône, puis à la pièce de monnaie. Beaucoup plus tard, sous l’Ancien-Régime, mendiants, voleurs, infirmes se regroupaient dans des quartiers de Paris devenus zones de non-droit et le chef de cette Cour des Miracles était appelé le Roi Thunes. Après la révolution, la pièce d’aumône par excellence fut la pièce de cinq francs et prit le nom, dans le langage populaire, de thune.
L’origine de pépètes est plus qu’incertaine. Peut-être une altération du mot pépite (selon le Robert), ou un transfert du mot pélot (autre mot d’argot pour désigner l’argent) qui n’était autre qu’un galet plat servant à faire des pépettes, c’est-à-dire des ricochets sur l’eau.
Le terme de brique n’est plus utilisé depuis le passage à l’euro, mais les plus de 30 ans sauront de quoi je parle ! Dans les années 1980-90, une brique était égale à 10 000 francs (Un million d’anciens francs). L’origine de cette expression remonte au IXe siècle où l’on utilisait des briques de thé, fabriquées essentiellement en Chine et en Russie en guise de monnaie. Celles-ci étaient ensuite transportées à dos de chameau ou de yack, et ce jusqu’à l’aube du XXe siècle.
« Dans une maison à trois briques, on est souvent à découvert. » Gaëtan Faucer
« Quand la morale fout le camp, le fric cavale derrière » Jacques Prévert
« Mieux vaut claquer du fric que du bec » Professeur Choron
« On est gouvernés par des lascars qui fixent le prix de la betterave et qui ne sauraient pas faire pousser des radis » Michel Audiard
Allez ! On ne peut pas se quitter sans parler du Grisbi dont les origines sont un peu floues… Pour ne se référer qu’au Grand Larousse, ce terme viendrait de gris (monnaie grise), couleur de la pièce de six liards.
"Touche pas au grisbi s..... !"
Francis Blanche dans "Les tontons flingueurs"
Et, histoire de reprendre notre sérieux, un proverbe indien à méditer…
« Ce n’est que lorsque le dernier arbre sera abattu, que le dernier fleuve sera pollué, que le dernier poisson sera pêché, ce n’est alors seulement que l’Homme comprendra que l’argent n’est pas comestible. »