Plus que la peur, souvent liée à l’instinct de survie, la phobie est irrationnelle et démesurée. Son étymologie nous vient du grec Antique phobos : peur, frayeur, aversion. Phobos était le dieu qui l'incarnait. Les Grecs lui faisaient des offrandes afin de conjurer la peur de partir au combat. Sans aller jusqu’à la pathologie, la phobie peut être incommodante, voire handicapante dans certains cas. Certaines sont très anciennes comme l’agoraphobie (peur des lieux publics), la claustrophobie (peur des espaces clos), et d’autres, telles que l’aviophobie (peur de l’avion) ou la nomophobie (contraction de no mobile-phone-phobia, la peur de perdre son portable), sont bien évidemment plus récentes. On pourrait même en ajouter une qui n’a pas vraiment de nom mais pour laquelle Thomas Thévenoud a déposé la marque en 2014 : « la phobie administrative » ! À moins que le substantif procrastination soit mieux adapté… mais là n’est pas notre sujet ! Après avoir visité certaines collections au nom bizarre, pourquoi ne pas s’intéresser à certaines de ces frayeurs tout aussi étranges ?
L’agoraphobie (du grec agora : place publique, assemblée) est une peur irrépressible des lieux publics, à ne pas confondre avec l’antropophobie (du grec ánthrôpos : être humain) qui est une crainte pathologique des gens et de leur compagnie. Plus spécifiquement, existent aussi l’androphobie (du grec andros : homme), la gynéphobie (du grec gyné : femme), la pédophobie (du grec ancien paîs : enfant) ou la gérontophobie (du grec gérôn : vieillard) qui sont respectivement la peur, voire le rejet, des hommes, des femmes, des enfants ou des personnes âgées. Un petit aparté sur la xénophobie (du grec xénos : étranger), dérivé de xénophobe, substantif dont l’invention est imputée à Anatole France en 1901 à propos de l’affaire Dreyfus, nuançant ainsi le terme de racisme. Le mot xénophobe apparait pour la première fois dans le Nouveau Larousse illustré en 1906. La claustrophobie (du latin claustra : fermeture, clôture) est la peur des espaces confinés, que ce soit une petite salle sans fenêtre, un ascenseur, un tunnel, un sas, un petit véhicule… La kénophobie (du grec kénos : vide) qui n’est autre que la peur du noir peut relever de plusieurs causes : la nyctophobie (du grec nuktos : nuit), la scotophobie (du grec skotos : obscurité), l’acchluophobie (du grec akhlús : brouillard). La lygophobie (du grec lugê : lumière), en revanche, est la crainte de la luminosité ; tous les vampires en souffrent, on le sait bien !
La nosophobie (du grec ancien nósos : maladie) est la forme irrationnelle de l’hypocondrie, c’est-à-dire l’angoisse de contracter une maladie. Elle regroupe plusieurs phobies dont : la mysophobie (du grec musos : abomination, souillure), peur de la saleté et des germes, ou la nosocoméphobie (du grec nosokomeion : hôpital), appelée plus communément « peur de la blouse blanche », qui est la peur panique des lieux touchant à la médecine. On peut y ajouter la bélonéphobie (du grec bélonê : aiguille, pointe) qui, elle, est la terreur des aiguilles et des seringues, souvent associée à l’hématophobie (du grec hématos : sang), la peur incontrôlable du sang. Tout cela, bien sûr, pour finir par la crainte ultime, la thanatophobie (du grec thanatos : mort), la peur de la mort, ou plutôt de l’idée de la mort.
L’anémophobie (du grec anémos : vent) englobe une grande variété de phobies liées à l’air dont l’aérophobie (du latin aéro : air) qui est la crainte des vents forts mais aussi des courants d’air, parfois utilisée pour désigner la peur des voyages en avion, bien que le terme d’aviophobie (puisqu’il existe !) soit plus approprié. La brontophobie (du grec brontê : tonnerre), peur de l’orage, de ses coups de tonnerre et de ses éclairs peut être liée à la phonophobie (du grec phôneô : parler haut) qui est la peur des sons forts. Certes, on parle ici de vent, mais cela n’a rien à voir avec les carminophobes qui vivent dans la crainte de lâcher des vents intempestifs bien qu’ils n’aient aucune raison de croire que leur côlon soit encombré, tout comme les halitophobes (du latin halitus : haleine), qui ont la perpétuelle impression d’avoir mauvaise haleine alors que leur hygiène bucco-dentaire est irréprochable !
* Petite précision étymologique du mot carminophobe : cela viendrait du verbe latin carminare qui signifie : carder la laine. En latin médiéval, le terme évoquait l’action de « disperser en grattant », d’où de « purifier », c’est-à-dire, « nettoyer en éliminant. Une plante « carminative » (fenouil, coriandre, origan, etc.) favoriserait donc l’expulsion des gaz intestinaux tout en réduisant leur production.
La zoophobie (du grec ancien zôion : être vivant, animal) regroupe les phobies relatives aux animaux. Il y en a bien sûr une liste infinie, aussi longue que le nombre d’espèces qui peuplent la terre. Voici donc les plus courantes :
Je m’arrête quelques instants sur l’arachnophobie (du grec aráchnē : araignée), car je voudrais vous conter l’histoire d’Arachné. Dans la mythologie gréco-romaine, cette jeune femme originaire de Lydie, excellait dans l’art du tissage. Issue d’une famille modeste, son don incomparable finit par exciter la curiosité d’Athéna qui, irritée que la plus grande tisseuse de tous les temps fut une simple mortelle, se présenta devant elle pour la mettre au défi : ce serait à celle qui tisserait la plus belle toile. Malgré le travail remarquable de la déesse, celui d’Arachné le dépassait largement, tant par sa finesse que par sa représentation : en effet, la jeune fille, quelque peu insolente envers les dieux, avait représenté Zeus et ses nombreuses conquêtes, où ce dernier avait dû prendre la forme de plusieurs animaux pour séduire ses amantes. Folle de rage, Athéna déchira la toile en mille morceaux et frappa Arachné de son épée. Humiliée, celle-ci courut s’enfermer dans sa chambre et se pendit. Lorsque Athéna vit son corps suspendu et inanimé, elle eut pitié et lui redonna la vie : « Vis, mais reste suspendue, misérable ! Si tu prétends être si douée pour le tissage, alors tu tisseras toute ta vie ! ». Puis elle la métamorphosa en araignée, et c’est ainsi que Arachné devint la mère de toutes les araignées… J’avoue qu’étant moi-même arachnophobe, ce mythe me réconcilie un peu avec les arachnides qui, avouons-le, exécutent un travail remarquable, avec un brin d’insolence quand même, surtout dans nos maisons…
Nous sommes bien loin parfois d’imaginer que certains d’entre nous peuvent être atteints d’une ou plusieurs phobies, au point que leur vie devienne un véritable calvaire. L’amaxophobie (du grec ancien ámaxa : chariot), par exemple, est la crainte panique de conduire un véhicule. Mais ce n’est rien comparé à l’hypégiaphobie (du grec ancien hypéngyos : responsable) qui est la peur d’assumer la moindre responsabilité, qu’elle soit d’ordre professionnelle ou personnelle, de la plus importante à la plus anodine. Et que dire de l’autophobie (du grec ancien auto : soi-même) qui est la peur effroyable de se trouver seul. À ne pas confondre avec l’anuptaphobie (du latin a, privatif et de nuptiae : noces) qui est la crainte du célibat, et encore moins avec la gamophobie (du grec gamos : mariage) qui est au contraire une peur morbide du mariage ! Certains encore souffrent de scopophobie (du grec skopeō : regarder, examiner), la crainte démesurée d’être regardé, comme les éreutophobes (du grec ereuthos : rouge) qui ont la peur obsédante de rougir en public. Restent les cathisophobes (du grec káthisis : action de s’asseoir) qui redoutent de s’asseoir ou les clinophobes (du grec klinein : incliner) qui ont peur de se mettre au lit. Il y en a même qui souffrent de géphyrophobie (du grec géphura : pont) à qui vous ne ferez jamais traverser un pont, et pire, il existe même des ergophobes (du grec ergon : travail) pour qui le travail est synonyme de panique.
Celles-ci sont beaucoup plus rares, mais parait-il qu’elles existent ! La coulrophobie (du grec kôlobathristếs : acrobate qui est sur des échasses) par exemple, est la peur panique des clowns. Dans les années 1970, John Wayne Gacy, dit « le clown tueur », se déguisait pour amadouer ses trente-trois futures victimes. Le roman « Ça » de Stephen King ou le « Jocker » dans « Batman » ont fini d’assurer une réputation maléfique à ce personnage au visage blafard et au nez rouge, dont les réactions imprévisibles renvoient à une peur intrinsèque de l’inconnu. Certains ont aussi peur du temps : les chronomentrophobes (du grec chronos : le temps et métron : mesure) ont une aversion immodérée des horloges et des montres, quand d’autres ont peur du chiffre 13, les triskaïdékaphobes (du grec treiskaídeka : treize) ou des barbes, la pogonophobie (du grec pốgôn : barbe). Comme on le sait, beaucoup redoutent leur belle-mère, mais il y en a certains pour lesquels cela devient une phobie. Il s’agit de la penthéraphobie. J’ai eu beau chercher son étymologie, j’avoue ne pas avoir trouvé (merci à l’un d’entre vous s’il peut m’éclairer !), si ce n’est que Penthésilée reine des Amazones, un peuple de femmes qui refusaient les hommes, croisa le regard d’Achille au moment où ce dernier la transperça de son épée, et ce dernier tomba éperdument amoureux de celle qu’il venait d’occire. Cette explication vaut ce qu’elle vaut et elle n’engage que moi ! Enfin, il y a ceux qui sont dans l’incapacité de prononcer des mots trop longs (dont je fais partie) et qui souffrent donc d’hippopotomonstrosesquippedaliophobie (contraction du mot inventé : hippopotomonstre et de sesquipedalis : long d’un pied et demie en latin), trente-six lettres au compteur tout de même ! Anticonstitutionnellement peut aller se rhabiller avec ses vingt-cinq lettres !
Voilà pour ce petit tour au pays des phobies, mais n’oublions pas que les plus à plaindre sont les pantophobes (du grec pantos : tout). Ceux-là, les pauvres, ont peur… d’absolument tout !